Cabaret du Néant
Atterris sur le boulevard de Clichy, le premier bar où nous faisons halte se trouve au numéro 34 et porte le doux nom de Cabaret du Néant. Ici on peut se payer une bonne bière entourés de crânes et de squelettes, vous allez voir c’est fendard ! Déjà, pour nous mettre dans l’ambiance, un croque-mort glacial et livide nous invite à prendre place sous un lustre fait d’un crâne et de tibias, autour de tables en forme de cercueils. Ambiance… !
Ensuite, munis de cierges, nous nous rendons dans la « salle de l’incinération » où l’attraction consiste à se laisser mettre en bière, une occasion unique pour un vivant… Allez, tout le monde teste ! Avant de quitter les lieux, on jette un œil dans le « caveau des trépassés », une petite salle de spectacle où, par un tour de passe-passe et grâce à un ingénieux système de miroirs, une jeune femme choisie au hasard dans l’assistance se fait déshabiller sous nos yeux et à son insu.
Bon, on serait bien resté, mais on ne va tout de même pas s’enterrer ici, passons au bar suivant !
Cabaret du Ciel
En remontant le même boulevard — au numéro 51 — nous n’en croyons pas nos mirettes ! Une haute façade blanche et bleue conçue dans le plus pur style gothique se dresse devant nous, scintillante de mille feux grâce à de petites étoiles électriques clignotantes… C’est le Cabaret du Ciel. C’est comme si nous étions morts au cours de l’expérience macabre du dernier bar et que nous arrivions au… paradis ! Ça fait un peu froid dans le dos, mais une bande de joyeux drilles déguisés en séraphins nous attrape par la main et nous conduit en farandole dans une salle voûtée aux allures de cathédrale. Là nous attend le banquet céleste : sur fond de notes de piano et d’orgue nos verres sont remplis de liqueurs divines, d’hydromel et d’ambroisie qui ravissent nos papilles.
Les divinités des lieux nous invitent ensuite à participer à diverses cérémonies toutes plus burlesques les unes que les autres, on doit notamment se prosterner au pied d’une idole de cochon… Ça devient gênant. On allait partir quand saint Pierre – clé du Paradis en main – nous propose de monter au Ciel parmi les anges en nous indiquant le premier étage. Au point où l’on en est, on monte ! Les anges s’avèrent être des femmes voluptueuses qui, contrairement aux créatures ailées, sont bel et bien dotées de tout l’attirail nécessaire pour nous faire grimper au septième ciel. Elles commencent à se trémousser sur une musique enivrante, ça sent le piège, c’est le moment de retourner sur terre pour poursuivre la soirée…
Cabaret l’Enfer
La tête encore dans les nuages, on pousse la porte du bar mitoyen, au numéro 53, et l’on ne s’étonne même plus de passer sous les crocs acérés d’un démon qui garde l’entrée du Cabaret l’Enfer !
Là aussi, ça racole dès l’entrée : « Avancez belles impures ; asseyez-vous, charmantes pécheresses, vous serez flambées d’un côté comme de l’autre » nous susurre un type déguisé en Mephisto. Mais c’est quoi cet enfer ? On prend place dans une salle au plafond couvert de formes humaines inquiétantes où des musiciens, déguisés en damnés, jouent de la guitare et de la mandoline.
Ce qui est marrant dans ce bar c’est que lorsqu’on commande un bock, on nous offre en échange un « Bon pour passer à la Chaudière ». Petit coup d’œil rapide dans la pièce : il y a un chaudron géant rempli d’un liquide frémissant et il semblerait qu’on soit autorisés à faire trempette… Hum, méfiance ! Pas très confiants, on décide de changer de pièce et on passe dans « l’antre de Satan », une salle de spectacle équipée d’une petite estrade sur laquelle on nous propose le même tour qu’au Néant, la mise à nue d’une cliente naïve… Allez hop, on décanille !
Taverne des Truands
Arrivés au numéro 100 du boulevard de Clichy on en a plein les pattes et on décide de tenter un ultime bar. Devant nous, une façade à l’architecture complètement folle nous attire irrésistiblement, c’est la Taverne des Truands.
Diantre ! Cette fois-ci nous prenons place dans une ambiance de coupe-gorge médiéval qui nous rappelle fortement la Cour des Miracles du roman de Victor Hugo. Dans un décor de théâtre gesticulent des damoiseaux en tuniques et collants tandis que de braves donzelles largement décolletées nous apportent des chopines… Oudelali !
Au balcon, le sosie de Robin des Bois joue du violon et, au lieu de vils marauds les yeux rivés sur notre bourse, nous retrouvons de joyeux lurons venus pour la gaudriole. En effet, le taulier est un poète dadaïste et les gens attablés sont ses amis : la fine fleur de la poésie montmartroise. Alors, on finit là, à rêvasser en écoutant la larme à l’œil ces troubadours du XXe siècle déclamer leurs vers, tandis que de bonnes âmes s’occupent de remplir les nôtres. Bilan de cette immersion dans les nuits parisiennes de nos arrière-grands-parents : « On ne regrette pas sa soirée » comme dirait l’autre !